M@gistère: « Avant, nous avions de la formation…. Mais ça, c’était avant ! »
Publié le 03/10/2018 à 17:28

Selon la volontĂ© de Vincent Peillon de poursuivre la casse de la formation des enseignants, le ministère de l’Éducation Nationale a scindĂ© les 18h consacrĂ©es Ă  l’animation pĂ©dagogique et Ă  la formation continue, celle-ci devant reprĂ©senter « au moins la moitiĂ© des 18 heures et ĂŞtre, pour tout ou partie, consacrĂ©es Ă  des sessions de formation Ă  distance, sur des supports numĂ©riques »(circulaire n° 2013-019 du 4-2-2013) : 9 h (au maximum…) d’animations pĂ©dagogiques 9 h (au minimum…) transformĂ©es en actions de formation dites Ă  distance.
Pour accéder à cette « formation », est apparue la plateforme M@gistère, d’abord sous forme expérimentale et bientôt généralisée à l’ensemble des Professeurs des Ecoles.

M@gistère, un monde m@gique ?

Au delà de l’extase à laquelle est censée se plier toute personne, faute de quoi elle paraîtrait ringarde, au-delà des vidéos de présentation toutes plus « fun » les unes que les autres, au-delà du discours attrayant dont le but est de nous faire adhérer à cette forme de « formation », M@gistère présente des aspects plus qu’inquiétants quant à l’évolution de notre métier, à la conception même de ce que doit être la formation continue et quant à nos droits en matière de formation continue sur notre temps de travail.

De la formation continue au pistage continu !

Si certains IEN affirment qu’ils ne « fliqueront » pas, ils ajoutent très vite qu’ils rencontreront les collègues qui ne se connectent pas, afin de résoudre ensemble leurs problèmes… D’autre part, pour valider chaque parcours de formation, un quizz permet de mesurer la réussite de l’enseignant. Ce quizz, visible par tous, est à compléter par des modules supplémentaires si le score de 100 % n’est pas atteint. Le tout est mesuré par un compteur actualisé toutes les 5 minutes. Atteindre le « nirvana » pédagogique a un double prix : la surveillance continue par l’administration et une transparence obsessionnelle et malsaine dans le but de s’assurer que les enseignants font bien leurs heures.

De la formation au formatage… à l’isolement…

Certes, les formations Ă©taient parfois imparfaites, ne rĂ©pondaient pas toujours aux choix des collègues, surtout celles flĂ©chĂ©es « obligatoires » ! Mais, avec M@gistère, les contenus et les thèmes sont standardisĂ©s et imposĂ©s. AcquĂ©rir une pĂ©dagogie ne passe pas uniquement par un calque de bonnes pratiques filmĂ©es. De mĂŞme, la formation ne peut se dĂ©partir des Ă©changes directs entre formateurs et enseignants, des questionnements, des retours et partages de pratiques. Il faut que chacun puisse s’emparer de sa formation et s’inspirer des autres. Gommer tous ces aspects-lĂ  est dangereux et interroge sur la vision et la stratĂ©gie du ministère de l’Education quant Ă  la formation des enseignants et Ă  la pĂ©dagogie. Cette voie, qui prolonge la politique initiĂ©e par Sarkozy, ouvre la porte Ă  des formations Ă  distance gĂ©nĂ©ralisĂ©es pour les enseignants, mais aussi pour les Ă©lèves. Quant au prĂ©texte de « l’ouverture au numĂ©rique » par les enseignants via cette mĂ©thode, c’est une grosse ficelle ! Ceux-ci n’ont pas attendu M@gistère pour ĂŞtre connectĂ©s, naviguer sur Internet, prĂ©parer leur classe…

Vers la déréglementation de la formation sur notre temps de travail et un transfert de responsabilités.

Présenté comme une avancée car une liberté gagnée (position de certaines organisations syndicales !), la formation à distance, chez soi, à n’importe quelle heure du soir, du matin, les fins de semaine et jours fériés, présente de graves remises en cause de notre droit à formation et un empiètement supplémentaire sur la vie privée des enseignants.
Cette formation continue virtuelle, c’est la remise en cause de l’obligation légale de formation de l’employeur vis-à-vis de ses salariés et l’abandon du P.A.F. (Plan Académique de Formation) !
Par ailleurs, la relance incessante pour valider les modules de formation risque de faire exploser le nombre d’heures réglementaires de formation tout en perdant en qualité. En entrant dans la validation numérique, on entre dans l’évaluation type PISA…
Et surtout, qui dit formation Ă  distance, dit matĂ©riel adĂ©quat… Et lĂ  se pose la question du financement de ce matĂ©riel. Par cette formation Ă  distance, V. Peillon, ministre du gouvernement PS/EELV impose indirectement Ă  tous les Professeurs des Ecoles d’avoir chez soi un ordinateur personnel adaptĂ© Ă  M@gistère. Ainsi, le ministère voudrait se dĂ©gager une nouvelle fois de ses obligations lĂ©gales d’accès Ă  la formation. En effet, on sait très bien que les collègues ne rempliront pas leurs heures de formation Ă  l’école pour de multiples raisons : absence ou manque de matĂ©riel dans certaines Ă©coles pour se connecter Ă  M@gistère (en quantitĂ© et performance), problème du temps d’utilisation du matĂ©riel des Ă©coles avec les activitĂ©s pĂ©ri-Ă©ducatives, souhait de ne pas rester le mercredi après-midi ou de le faire sur la pause mĂ©ridienne…. Il ne peut ĂŞtre question d’imposer aux personnels l’acquisition ou la possession d’un outil nĂ©cessaire au travail ; c’est bien l’employeur qui a obligation de le fournir !
Pour la CGT Éduc’Action, la formation doit rĂ©pondre aux besoins exprimĂ©s par les personnels et elle doit ĂŞtre humaine. Si le numĂ©rique peut ĂŞtre un des outils de formation, il ne peut en ĂŞtre l’exclusive. L’interaction entre les pairs, entre le stagiaire et le formateur ne peut se rĂ©sumer Ă  un forum, sorte de barnum pĂ©dagogique. Valider M@gistère, c’est surtout faire de très grosses Ă©conomies pour le ministère de l’Education Nationale (en personnels, en dĂ©fraiements, en stages…), argument principal non avouĂ© !
Le gouvernement austĂ©ritaire et sĂ©curitaire Ayrault/Peillon/Valls/Duflot (aujourd’hui Valls/Hamon) annonce en effet, dans le mĂŞme temps, 50 milliards de coupes dans les dĂ©penses publiques entre 2015 et 2017, dont 30 milliards en « pacte de responsabilité » qui iront, directement et sans contrepartie, dans les poches du patronat !(1)

 

(1) Au total, il existe 4 500 dispositifs d’aides publiques aux entreprises privĂ©es, pour un montant total estimĂ© Ă  200 milliards d’euros par an. La fraude fiscale reprĂ©sente un manque Ă  gagner de 80 milliards d’euros par an, dont 32 milliards de fraude Ă  la TVA intracommunautaire. Ce ne sont pas ni les Professeurs des Ecoles ni les smicards qui fraudent ! Quant Ă  l’évasion fiscale, elle reprĂ©sente 50 milliards de recettes manquantes. LĂ  encore, ce ne sont pas les bas salaires qui s’y livrent…