RĂ©forme des lycĂ©es, baisse des moyens, sĂ©lection Ă  l’universitĂ©. Ça suffit !
Publié le 09/10/2018 à 9:59

Projet Blanquer : Un tri social accentué dès le lycée

Si le lycĂ©e actuel porte en lui la sĂ©lection et le dĂ©terminisme social, le projet de LycĂ©e Blanquer l’accentue:

Une orientation précoce

La pression autour de l’orientation va s’accentuer. On sort de la logique « avec un bac S, tu pourras tout faire », mais dans laquelle les autres bacs offraient quand mĂŞme un large Ă©ventail. Avec le projet Blanquer, chaque choix de spĂ©cialitĂ© ouvrira (ou pas) des portes vers le supĂ©rieur. L’orientation, encore complexifiĂ©e, se fera Ă  l’avantage des milieux maitrisant le mieux l’information et comprenant les implicites des « choix des Ă©lèves ». Si le ministère invoque les perspectives de « passerelles », nous savons que, compte tenu des contraintes budgĂ©taires et des visĂ©es idĂ©ologiques du ministre, elles seront compliquĂ©es Ă  mettre en pratique. Enfin, les 54h/an annoncĂ©es, destinĂ©es Ă  l’orientation des Ă©lèves, ne sont pas identifiĂ©es dans les dotations horaires. Sur quels moyens seront-elles rĂ©alisĂ©es ? Les marges, qui ne sont plus seulement destinĂ©es aux dĂ©doublements et autres possibilitĂ©s de travail en petits groupes ? Par qui ? Comment ?

Il spécialise chaque année davantage les élèves

Le tronc commun s’Ă©lèvera Ă  16h en voie gĂ©nĂ©rale, 14h en voie technologique en première. (15h30/13h en terminale). Dans la voie gĂ©nĂ©rale, les Ă©lèves se spĂ©cialiseront dans trois discipline en première, spĂ©cialisation qui s’accentuera en terminale puisque les Ă©lèves ne retiendront que 2 spĂ©cialitĂ©s. Sous un couvert dĂ©magogique (« les Ă©lèves ont le droit de choisir des disciplines »), ce projet retranche certains savoirs et savoir-faire de la culture commune des bacheliers. Par exemple, les mathĂ©matiques pourront facilement disparaitre du cursus ( ce qui est possible aujourd’hui, mais uniquement pour les sĂ©ries L soit 6% des bacheliers).

Ces spĂ©cialitĂ©s influeront sur l’accès Ă  l’universitĂ© Ă  cause des « attendus »

Ne pourront accéder à tel ou tel cursus universitaire que celles et ceux qui auront fait les bons choix et obtenu les meilleurs résultats, en particulier dans les filières en tension (STAPS, droit et psycho). Attendons-nous à ce que certaines universités organisent la pénurie pour pouvoir sélectionner à leur tour !
On le voit, ce dispositif conduit Ă  fermer la porte de l’universitĂ© en considĂ©rant qu’on ne pourra plus acquĂ©rir ces « compĂ©tences » après le lycĂ©e. De plus, il tient compte d’élĂ©ments qui ne font jamais explicitement l’objet d’apprentissages Ă  l’École ou de l’ordre du « savoir-ĂŞtre », souvent transmis par la famille.

Une concurrence entre élèves renforcée

Dans ce contexte, la concurrence entre Ă©lèves dans les choix de spĂ©cialitĂ©s et d’options, puis d’orientation post-bac ne peut que s’aggraver. Or, la concurrence entre Ă©lèves, c’est non seulement plus de pression sur leurs Ă©paules mais aussi plus d’inĂ©galitĂ©s entre les Ă©lèves (favorisant ainsi celles et ceux qui peuvent le mieux mettre en valeur leurs dotations culturelles familiales et dont les familles ont la meilleure maitrise du système scolaire et post-bac).

Pour toutes ces raisons, la CGT Educ’action s’oppose Ă  ce projet qui, en l’Ă©tat, n’est pas acceptable !

Un projet inquiétant pour les postes et les conditions de travail des personnels.

Des suppressions de postes massives. Pourquoi ?

Le volume hebdomadaire des élèves va diminuer (exemple: de 28h30 à 26h en seconde

Avec la dispatition des sĂ©ries, les Ă©tablissements vont « optimiser » la capacitĂ© de chaque division… En augmentant ses effectifs.

En 2016, il y avait en moyenne 31,6 Ă©lèves par classe en seconde, 28,5 en 1ère gĂ©nĂ©rale et 27,8 en terminale gĂ©nĂ©rale. Sur cette base et en extrapolant une moyenne d’Ă©lèves par seconde identique et l’augmentation Ă  une moyenne de 30 Ă©lèves par classes en 1ère et en terminale, nous arrivons Ă  une baisse de près de 5000 ETP ! Ce n’est qu’une projection, mais elle Ă©claire les possibilitĂ©s de marges budgĂ©taires permises par cette rĂ©forme. Il n’est pas impossible que les effectifs par classe de 1ère et terminale puissent ĂŞtre plus Ă©levĂ©s encore, car Ă  ce calcul Ă  minima, il faut rajouter les baisses horaires dans les sĂ©ries technologiques ainsi que le risque assez grand qu’une partie du financement honoraire des options soit prise sur les marges (qui ne sont plus destinĂ©es uniquement aux dĂ©doublements).

Des disciplines en danger et en concurrence

Les choix de spĂ©cialitĂ©s des Ă©lèves influeront sur les classes en 1ère, comme avant, mais s’accentueront en terminale avec le passage de 3 Ă  2 spĂ©cialitĂ©s. Les Ă©lèves feront des arbitrages en termes de poursuite d’Ă©tudes pour les mieux informĂ©s, en termes de « rentabilitĂ© de notation » pour la majoritĂ©. Or, comme il y a des postes en jeu il faut conserver des Ă©lèves, donc capter les Ă©lèves indĂ©cis au dĂ©triment des collèges des autres spĂ©cialitĂ©s. Comment ? Par la qualitĂ© de l’enseignement ?.. En rĂ©alitĂ©, plutĂ´t par des procĂ©dĂ©s pervers: des effets d’annonce sur l’importance de notre spĂ©cialitĂ© ; une « bienveillance dans l’Ă©valuation » certes louable mais pas, si c’est pour retenir les Ă©lèves… Bref, dans ces conditions, la pĂ©nurie orchestrĂ©e par le gouvernement se traduirait par des divisions internes plutĂ´t que par une opposition franche.
De mĂŞme, les nombreux enseignements flous ‘ »histoire-gĂ©o, gĂ©opolitique et sciences politiques », « humanitĂ©s, littĂ©rature et philosophie », « enseignements scientifiques »…) impliqueront que plusieurs disciplines devront se les « partager ».

Accompagnement PersonnalisĂ© (AP), heures dĂ©diĂ©es Ă  l’orientation, marges horaires… Le grand flou.

l’AP reste mentionnĂ©e mais sans horaire dĂ©diĂ© et uniquement pour les Ă©lèves « en ayant besoin ».

« L’acompagnement Ă  l’orientation » – 54h annuelles – n’est pas dans les grilles horaires. Ces heures sont sous la responsabilitĂ© du ou de la professeur principal, mais peuvent ĂŞtre effectuĂ©es par des enseignants, dont les professeurs documentalistes, les Psy-EN, la RĂ©gion… Autant dire qu’elles ne seront pas abondĂ©es en tant que telles dans les DGH et qu’elles se solderont par une surcharge de travail pour les professeurs principaux.

L’utilisation des marges horaires fixĂ©es pour chaque niveau (12h en seconde, 8h en première et terminale de la voie gĂ©nĂ©rale) est laissĂ©e totalement Ă  la libre apprĂ©ciation des Ă©tablissements, sans mention spĂ©cifique des dĂ©doublements.

Encore une fois, on nous impose de nous rĂ©partir la misère, facilitant les politiques d’austĂ©ritĂ© budgĂ©taire. Toutefois ces mesures nĂ©cessitent un vote du Conseil d’Administration. Nous devrons rester vigilants pour que cette règle dĂ©mocratique soit appliquĂ©e et qu’elle ne soit pas contournĂ©e par les chefs d’Ă©tablissement par le biais du conseil pĂ©dagogique.

La multiplication des Ă©valuations

Dans le cadre des « partiels » participant à 30% de la note du bac, les enseignants devront évaluer à plusieurs reprises dans des conditions très lourdes.
ConsĂ©quences : surcharge de travail pour les personnels (organisation du dispositif), Ă©galitĂ© discutable (banque acadĂ©mique de sujets et harmonisation prĂ©vue mais avec des professions diffĂ©rentes suivant les Ă©tablissements !), multiplication des Ă©valuations sommatives au dĂ©triment de l’aspect formatif de notre travail.

La voie technologique déqualifiée

Le projet induit une forme de « dĂ©technologisation » des sĂ©ries technologiques , avec des fusions d’enseignements de spĂ©cialitĂ©s entre la 1ère et la terminale.

C’est d’autant plus vrai en STI2D oĂą ne reste plus que l’enseignement transversal en 1ère et oĂą les 4 spĂ©cialitĂ©s ne sont plus enseignĂ©es qu’en terminale, dans un enseignement globalisĂ© de 12h avec le transversal. Combien pèseront ces spĂ©cialitĂ©s? 2h, 6h, 8h.. ? Faudra-t-il attendre l’Ă©criture des programmes pour le savoir ? Le projet d’une seule STI2D gĂ©nĂ©rale reviendrait-il Ă  l’ordre du jour ?

C’est rendre l’enseignement technologique industriel plus thĂ©orique qu’il ne l’Ă©tait dĂ©jĂ  devenu alors que l’aspect pratique et inductif Ă©tait un facteur de rĂ©ussite pou ces Ă©lèves.

Pour les collègues, on aggrave le sentiment de dĂ©qualification subit, violemment, en 2010. La souffrance au travail risque d’ĂŞtre dĂ©cuplĂ©e pour les nombreux collègues qui ont du mal Ă  trouver leur place dans l’enseignement transversal.

Dans toutes les sĂ©ries, la crĂ©ation de spĂ©cialitĂ©s « fusionnĂ©es » de terminale est très inquiĂ©tant pour l’Ă©galitĂ© de traitement des Ă©lèves et pour le risque de mise en concurrence des personnels qu’elle induit. Faute de rĂ©partition horaire dans l’arrĂŞtĂ©, on ne voit pas comment empĂŞcher que les Ă©tablissement fassent cette rĂ©partition en tout autonomie.

Une dévalorisation du baccalauréat

60% du baccalauréat en contrôle final. Oui mais..

Si le Français reste en Ă©preuve anticipĂ©e en fin de Première, la Philosophie en fin de Terminale, ce contrĂ´le final implique aussi le fameux « oral », sorte de TPE sur deux ans mais avec des moyens vraisemblablement insuffisants pour rĂ©ellement accompagner les Ă©lèves vers l’autonomie demandĂ©e. Il implique aussi que les deux spĂ©cialitĂ©s de terminale seront Ă©valuĂ©es en fin de second trimestre. Servant ainsi Ă  la sĂ©lection via Parcourssup !

40% de contrĂ´le continu.

10% sur la base des bulletins de première et de terminale (chaque discipline étant prise en compte à poids égal)

30% sur la base d' »épreuves communes » lors de temps donnĂ©s (ex: fin de 2ème trimestre…) dans les disciplines du tronc commun (sauf Français et Philosophie). Au total, en filière gĂ©nĂ©rale, ce sont 14 Ă©preuves que devront passer les Ă©lèves.

Outre la surcharge, c’est le risque de suspiscion de « bacs maison » en particulier concernant les Ă©tablissements accueillant les publics les plus en difficultĂ©s. Certaines facs zĂ©lĂ©es ont dĂ©jĂ , par anticipation, dĂ©cidĂ© de pondĂ©rer leurs critères de sĂ©lection par… L’Ă©tablissement d’origine !

 

Des Ă©lèves triĂ©s Ă  l’entrĂ©e de l’universitĂ©.

La loi Vidal, prenant prĂ©texte de l’instauration du tirage au sort dans certaines filières et des difficultĂ©s de certains Ă©tudiants en licence met en place une sĂ©lection qui ne dit pas son nom.

A la lecture des attendus nationaux, les bacheliers technologiques sont quasiment Ă©cartĂ©s de la licence, les bacs pro le sont totalement. Les premiers rĂ©sultats de Parcourssup sont catastrophiques, avec de nombreux Ă©lèves en attente, certainement jusqu’en septembre pour beaucoup et d’autres n’ayant des « oui » que pour des choix de sĂ©curitĂ©, Ă©loignĂ©s de leurs aspirations.

Pour la CGT Educ’action, cette sĂ©lection est inacceptable. L’obtention du baccalaurĂ©at, 1èr grade universitaire, doit permettre Ă  chaque Ă©lève d’accĂ©der Ă  la poursuite d’Ă©tudes souhaitĂ©e.

La rĂ©ponse aux rĂ©elles difficultĂ©s liĂ©es Ă  l’orientation post-bac doit ĂŞtre trouvĂ©e dans les moyens allouĂ©s Ă  l’orientation, dans le recrutement de personnels universitaires en nombre suffisant pour satisfaire les demandes d’inscription mais aussi pour aider Ă  la rĂ©ussite de chacun en licence.

Face Ă  ce projet hautement idĂ©ologique, proposons une alternative…

Le système scolaire actuel classe, trie et rĂ©partit les Ă©lèves en fonction des besoins des entreprises. Les projets de rĂ©formes (lycĂ©e, bac, accès Ă  l’universitĂ©) aggravent encore ce phĂ©nomène et exacerbent les dĂ©terminismes sociaux.

Or, l’Ă©cole devrait fournir un Ă©gal accès Ă  tous les projets d’Ă©tudes pour tous les Ă©lèves, donner rĂ©ellement plus Ă  ceux et celles qui en ont le plus besoin. Elle devrait Ă©galement permettre l’Ă©mancipation des Ă©lèves en leur donnant accès Ă  une culture commune plurielle et de haut niveau .

La CGT Educ’action fait vivre ce projet parce que nous croyons qu’une alternative est possible. Une autre Ă©cole doit se construire dès la maternelle, un vĂ©ritable collège unique doit voir le jour et une universitĂ© ouverte Ă  tous en ayant les moyens de rĂ©ussir doivent ĂŞtre des objectifs.

Pour le lycĂ©e, la CGT Educ’action revendique un vĂ©ritable rĂ©Ă©quilibrage des trois voies du lycĂ©e (gĂ©nĂ©ral, technologique et professionnel) dans la perspective de la mise en place d’un lycĂ©e unique et polytechnique:

  • Pas de distinction de voies et de filières mais un cursus unifiĂ© et complet avec des options d’approfondissement
  • Un enseignement qui fasse part Ă©gale aux enseignements scientifiques, artistiques, professionnels et aux humanitĂ©s
  • Des effectifs par classe Ă  24 Ă©lèves maximum (15 en Education Prioritaire)
  • Des moyens spĂ©cifiques et flĂ©chĂ©s par un cadrage national pour des dĂ©doublements, du travail en petits groupes, des projets, etc..

Pour les personnels, au lycée, comme en LP et en collège:

  • Un temps de service rĂ©duit pour les enseignants
  • 2 heures de concertation intĂ©grĂ©es dans le temps de service, dont l’organisation n’est pas dictĂ©e par la direction de l’Ă©tablissement, mais laissĂ©e Ă  la libre organisation des personnels
  • Des augmentations de salaires (400€ pour tous et une hausse de la valeur du point d’indice)
  • Un dĂ©roulement de carrière amĂ©liorĂ©, au mĂŞme rythme pour tous, dĂ©connectĂ© de l’Ă©valuation

Pour une Ă©volution du fonctionnement des Ă©tablissements:

  • Une rĂ©duction de la taille des Ă©tablissements
  • Un lycĂ©e pris comme un vĂ©ritable lieu de vie pour les personnels et les Ă©lèves
  • Des cadres permettant une vĂ©ritable mise en oeuvre d’une dĂ©mocratie lycĂ©enne
  • Des chefs d’Ă©tablissement Ă©lus par les personnels, sans rĂ´le pĂ©dagogique et d’Ă©valuation, mais qui favorise la coordination du travail, les projets d’Ă©quipe et la gestion quotidienne de l’Ă©tablissement